Fausses attributions
Jean-Raymond Fanlo
(
contact)
► Circé
► Le Divorce Satyrique
Le Divorce
satyricque est
un violente attaque satirique contre Marguerite de Valois, écrite pour
justifier le divorce d’Henri IV avec la princesse. Publié
en 1660 dans une compilation tardive, le Recueil de diverses pieces
servant
à l’histoire de Henry III parue à Cologne, chez Pierre du
Marteau, il
est réédité sous le titre de Le Divorce satyrique, ou les amours de
la reine
Marguerite, puis de Le Divorce
satyricque en forme de Factum pour et au nom du Roy Henry IV…
Vladimir
Shiskin en a récemment retrouvé un manuscrit à Saint-Pétersbourg avec
le titre
de Divorce du roy Henri IV et de la Reine Marguerite produit à la
dissolution de leur marriage devant Monseigneur le cardinal duc de
Joyeuse.
Ce manuscrit daterait du milieu du xviie siècle[1].
C’est dans la même compilation de Pierre du Marteau que paraît pour la
première
fois, en 1660 aussi, la Confession catholicque du sieur de Sancy.
Cette
simultanéité, ajoutée à la solide inimitié que portait Aubigné à la
reine Marguerite,
a fait croire que Le Divorce serait son œuvre. Même s’il
n’en a
jamais dit un mot, que le texte ne figure pas dans ses manuscrits, même
si l’éditeur
du Recueil, bien informé, ne le lui attribue pas alors qu’il
sait que la Confession est de lui, l’hypothèse a été
avancée
dès le xviiie siècle,
et Eliane
Viennot l’a plaidée en 1997[2]
en réunissant tout ce qui lui paraît la conforter – et en laissant de
côté tout
ce qui la réfute.
Eliane
Viennot repère des convergences entre l’écrivain et ce pamphlet.
L’auteur, par
exemple, connaît bien la période de Nérac. Sans doute. Comme beaucoup
de monde.
Comme, entre autres, Pierre-Victor Palma-Cayet, à qui le pamphlet a été
aussi
attribué, et qui a été le pasteur de Catherine de Bourbon, la sœur
d’Henri IV,
qui était en Béarn près de son frère. Eliane Viennot remarque aussi que
seuls Le Reveille-matin des François, le Divorce
et Aubigné
produisent
telle ou telle allégation: sans doute, puisque le Reveille-matin
est une
source capitale d’Aubigné, et une source très bien connue, plusieurs
fois
éditée, que l'auteur du Divorce a lui aussi utilisée. D’autres
exemples
de rapprochements trop généraux pour être probants, ou contestables,
pourraient
se discuter, mais c’est inutile, car les contre-arguments ne laissent
guère de
doute.
Il y a des
divergences entre le Divorce et l’œuvre d’Aubigné. Le Divorce
rapporte
la légende des têtes de La Mole et Coconas récupérées après leur
exécution par
les princesses (éd. 1660, p. 206) : Aubigné n’en parle nulle
part. Il
est question dans le Divorce (p. 207) de l’agression sur
Madame de
Duras. Cette dame proche de Marguerite, et réputée de mauvaise vie, a
reçu une
bouteille d’encre au visage. Aubigné s’attribue ce haut fait (Sa vie,
p. 123). Le Divorce l’attribue à Georges de Clermont
d’Amboise.
Eliane Viennot a donc raison de constater qu’« Aubigné et le Divorce
parlent de la sfrisata » (bien
d’autres
auteurs en parlent), mais tort de ne pas reconnaître qu’ils ne disent
pas la
même chose. Plus grave : le Divorce est très dur pour
Bouillon. Or
dans ces années 1606-1607, Aubigné en est très proche, il le couvre
d’éloges,
il le défend[3].
Par contre, un auteur
catholique, nous y reviendrons, peut fort bien s’en prendre au duc, qui
a fui le
roi depuis la conspiration de Biron. De même, le Divorce cite
un quatrain
qui se trouve dans le Printemps et dans un album de poésies qui
a
appartenu à Marguerite de Valois[4].
Aubigné a copié l’incipit de sa main au début du manuscrit 159. La
pièce en
vers rapportée est caractéristique d’Aubigné, et on sait que l’album de
Marguerite contient des dizaines de pièces de lui. Mais Le Divorce
attribue
le quatrain à Marguerite elle-même. S’il est une chose sûre, c’est
qu’Aubigné tient
à ses œuvres et à sa paternité littéraire, et jamais il n’aurait prêté
à
Marguerite une œuvre de lui. Le Divorce se trompe, et cite une
pièce qui
a circulé autour de Marguerite faute d’en connaître l’auteur.
Mais
surtout trois points précis ne laissent aucun doute. Tout d’abord le Divorce
appelle les rois les « Oincts de Dieu » (p. 212). Cette
théologie
politique est toute conditionnelle pour Aubigné. Il peut faire du roi
un envoyé
de Dieu si celui-ci défend l’Église, lorsque Dieu le « choisit
pour du
millieu des feux / Du service d'Ægypte, et du joug odieux / Retirer ses
troupeaux » (Tragiques, II, v. 399-401), mais jamais il
n’eût
employé cette expression pour un roi catholique. Ensuite Le Divorce
parle, sans ironie, de « nostre sainct Père » le pape
(p. 222).
Aubigné, lui, comme beaucoup de calvinistes en son temps et ce sera un
point de
dogme en 1603, appelle le pape l’Antéchrist, il le dit dans les Tragiques,
il essaie de le démontrer à coups de syllogismes dans La Replique
de Michau.
Le Divorce parle de la communion de Pâques comme d'une
« saincte
reconciliation avec son Dieu » (223), car elle permet de
« recevoir
[...] le Sauveur du monde » sous la forme de
« l’hostie ».
L'auteur du Divorce est catholique[5] !
Enfin Le Divorce est écrit pour justifier le...
divorce. Or
Aubigné y est opposé, car le biblisme calviniste ne l’admet pas (voir HU,
VIII, 303 et les Advis de Luat, Pléiade). Le divorce n’est
possible que
pour un catholique qui a reçu l’autorisation de l’Église : c’est
ce qui
s’est passé pour Henri IV. Son divorce a été un des volets de la
négociation avec
Rome qui a débouché sur l’absolution pontificale de 1595, sur le
divorce et le
mariage avec Marie de Médicis sous les auspices du pape. C'est-à-dire
tout ce que
toute l’œuvre d’Aubigné, et notamment ses écrits politique, le Discours
par
stances, présente comme une inféodation au pape et comme une
abdication de souveraineté
de la part du roi.
S’il est un
écrit qu’on ne peut attribuer à Agrippa d’Aubigné, c’est bien ce
pamphlet à la
dévotion du roi et du pape et en faveur d’un divorce qui ne pouvait
être que
catholique, ce pamphlet qui est, et c’est tout dire, catholique.
[1]
Voir « À
propos du Divorce satyrique (1606-1607) : le manuscrit de
Saint-Pétersbourg », dans Catherine Magnien et Eliane Viennot éd.,
De
Marguerite de Valois à la reine Margot: autrice, mécène, inspiratrice,
Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 141-153.
[5]
Shiskin se trompe lorsqu’il écrit qu’il n’y a « aucune indication
de
l’appartenance religieuse » de l’auteur et lorsqu’il fait de
l’auteur un
« monarchomaque », et ce catholicisme exclut l’hypothèse
qu’il avance
par d’un auteur essayant de se faire passer pour Aubigné (art. cit.
p. 144). Celui-ci ne jouit pas d’une telle célébrité qu’il fût
utile
d’emprunter son masque, et il serait pour le moins étrange de le faire
en se faisant
passer pour catholique.