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Les livres de l'écrivain
La bibliothèque d’étude des enfants d’Agrippa d’AubignéManuscrit Tronchin 160Auteurs : J.-R.
Fanlo / M.-M. Fragonard Parmi les papiers Agrippa d’Aubigné des archives Tronchin de
la Bibliothèque de Genève[1],
le volume 160 est certainement le plus ancien. Il n’a pas été, comme la
plupart des autres dossiers de la collection, constitué arbitrairement
au xviiie siècle par un bibliothécaire. Il était
originellement relié. Le 27 février 1633, au moment de prendre
possession de toute l’œuvre manuscrite qu’Agrippa d’Aubigné lui avait
léguée, Tronchin le décrit ainsi : « un livre relié couvert de basane
grise, auquel est l'original de la lettre à Madame avec le Caducée et
plusieurs autres petites pièces f° »[2].
En fait, ce livre a été offert à Suzanne de Lezay, l’épouse
de
l’écrivain. Sur la face intérieure de la reliure, aux quatre coins de
la page collée, Aubigné a indiqué de sa main les quatre points
cardinaux : « septen. / Midi. / Ouest. » Le quatrième est masqué par l’ex
libris de Tronchin. Au milieu de la page, on lit : « A Madame
daubigne » (on retrouve cette main au centre du f° 1 r°). Cette
indication, cette dédicace, laissent penser que le volume a été utilisé
comme album de famille, peu de temps après le mariage (6 juin 1583).
De fait, s’il contient des œuvres de l’écrivain, la Lettre
à Madame publiée en 1600 ou 1601 sous le titre de Traitté
des douceurs de l’affliction, une partie importante du livre III
des Tragiques, le Caducee ou l’ange de Mercure,
L’Apologie pour l’assemblee des six provinces…, les enfants s’y
sont aussi exercés. Constant, dont on reconnaît l’écriture, Marie,
Nathan aussi, sans doute. On trouve des griffonnages, des essais de
signatures, des écrits scolaires (notes de cours, exercices grecs et
latins), des poèmes en latin et français. Sur la première page se
trouve un Catalogus librorum meorum, une liste initiale de
livres non classés qui mêle livres éducatifs, savants, romancés,
antiques classiques, antiques tardifs, modernes, dans un certain
désordre.
À quel enfant ces livres ont-ils été confiés ? Au bas de la
page, figure, centrée, l’inscription « A Madamoiselle / Marie dAubigné
», et le folio suivant porte, de la main qui copie le Catalogus
: « Marie d’Aubigné. Pater tu es felix quoniam deum coles » ( f° 2 v°),
mais on y repère deux mains différentes.
La signature de Marie est encore infantile et n’est pas de la même écriture que le reste. L’écriture principale est celle de Constant, même si plus tard son écriture sera un peu plus fine. Les livres n’ont cependant pas été donnés. Un certain nombre d’entre eux se retrouvent dans l’inventaire après décès de 1630 : ils étaient seulement à la disposition des enfants. La liste recense surtout des ouvrages fondamentaux : manuels de cosmologie, de médecine, de mathématique, de rhétorique, dictionnaires et encyclopédies (Pline), grammaire (grecque, et hébraïque, selon l'idéal d'une éducation trilingue), et ouvrages des Anciens : rhétoriciens (Quintilien) et orateurs (Isocrate, Démosthène, Cicéron) à côté des logiciens (Aristote, Pacius), historiens (Tacite), philosophes (Sénèque), auteurs de théâtre (Térence, pour les apprenants), poètes (Homère, Ovide) et les satiriques (Perse, Martial, Juvénal), et deux romanciers (Héliodore, Aristénète, un auteur récemment publié). Mais Virgile n’est pas là, ni Lucain, ni Claudien qui seront très utilisés dans les Tragiques. En dehors des classiques il y a Georges Pisidas, un poète hexaméral byzantin de la basse antiquité que Du Bartas connaissait sans doute déjà, et l’historien Sleidan pour les commencements de la réforme, et peu de Modernes : Pibrac, Bodius. Des compilations pour leur valeur gnomique et édifiante: flores , sententiae, Quatrains de Pybrac et Adagia d'Erasme. Pas de Bible calviniste, ni de recueil des Psaumes, peut-être parce qu’ils sont plus qu’un livre, et appartiennent à la vie plus qu’à la bibliothèque. La Bible s’étudie en latin, en grec et en hébreu. Il s’agit plus de permettre aux enfants de connaître le texte saint, que de proposer une formation théologique : l’Institution de Calvin, que Sully a par exemple lue en entier et annotée durant son adolescence[3], n’est pas là. L’importance des langues anciennes se retrouve dans le choix d’un catéchisme (de Calvin, probablement) en latin, bien que ce livre recherche la simplicité et la proximité. Si aucun ouvrage de controverse n’est présent alors qu’ils étaient nombreux dans la bibliothèque de l’écrivain comme le montrera l’Inventaire après décès de Genève, en revanche l’outillage intellectuel destiné à repousser les séductions et les argumentations captieuses imputées au catholicisme, est fourni par la présence importante, et qui surprendrait trente ans plus tôt, de l’organon et d’ouvrages de dialectique et de logique. La correspondance plaide pour donner une place importante à ces outils dans l’éducation[4], et montre comment l’écrivain s’en serait servi[5]. Sleidan représente l’histoire moderne. Mais, entre histoire, controverse et piété, l’Histoire des martyrs, la compilation entreprise par Crespin en 1554 et poursuivie par Goulart jusqu’en 1619, n’est pas là. Ce Catalogus révèle un programme d’études ambitieux, qui cumule tous les âges de l'apprentissage d’un enfant ou d’un adolescent. Il correspond sans doute à certains centres d’intérêt de l’écrivain, mais il frappe aussi par l’absence d’auteurs français qui lui sont chers, comme Ronsard, Du Bellay ou Rabelais : ce que nous appelons aujourd’hui littérature n’est pas encore une discipline pédagogique. Il vise moins à donner une formation théologique rigide qu’à permettre à l’enfant d’approcher le texte saint et de savoir raisonner à partir de lui. Peut-on penser qu’Agrippa d’Aubigné, à la fin du XVIe siècle, n’est pas encore ce controversiste acharné qui identifie toute conciliation avec la trahison, et qu’il a une approche plus ouverte du texte saint ? Après tout la Lettre au doge tente bien de proposer à Venise, mais pour des raisons tactiques, un christianisme entre deux chaires, comme a dit Thierry Wanegffelen. Mais on peut aussi penser à l’opposé que pour un auteur qui entreprend la Confession catholicque du sieur de Sancy, publie la Reponce de Michau puis la Replique puis le Traitté des douceurs de l’affliction à cette même époque où ses enfants font leurs études, la Bible et un droit raisonnement conduisent nécessairement à tous les points du dogme protestant, un peu comme naguères, Raymond Sebond prétendait que l’observation de la nature et la raison humaine prouvent nécessairement tous les points du dogme catholique. Le volume 160 fournit d’autres informations sur l’éducation chez Agrippa d’Aubigné. On y trouve des traductions en latin d’Héliodore (f° 2 v°), des définitions de mots grecs concernant la diction et le vocabulaire (f° 3 r°), des notes de philosophie en latin (3 v°), des notes de géométrie d’après la Geometria de Ramus (f° 55 v°-r°), de médecine d’après la Physiologia de Fernel (f° 74 v°-72 v°), et de dialectique d’après les Institutionum dialecticarum libri octo de Pedro da Fonseca, trois absents du Catalogus, qui n’est donc pas une liste exhaustive. Malgré tout, ce même volume 160 contient des poésies latines et françaises de Constant d’Aubigné, sur des sujets variés qui vont du néo-pétrarquisme à la consolation malherbienne et à l’épigramme latine. A côté de l’austère Catalogus et des manuels, la bibliothèque de la maison offrait donc des plaisirs plus profanes, qui n’étaient pas interdits, au moins au fils[6]. [T 160 f° 1 r°] Catalogus librorum meorum [Cliquez sur les
titres pour afficher ou masquer les notices] Plinius ………………1 Quintilianus ………………2 Homerus ………………3 Isocrates ………………4 Lexicon ………………5 Calepinus ………………6 Zabarella ………………7 Commentarium Crellii in Posteriora Anal. ………………8 Adagia ………………9 Ciceronis omnia opera ………………10 Urbani grammatica ………………11 Biblia hebraica 2 tomi ………………12 13 Biblia graeca et latina 3 tomi ………………14 15 16 Ben-Ariae Montani novum testamentum ………………17 Novum testamentum graecum ………………18 Caricleatheagene ………………19 Demosthenes ………………20 Opera et Dies Georgii Pisidæ ………………21 Sententiae Hebraicae ………………22 grammatica hebraica et Arabica ………………23 Aristaeneti epistolae ………………24 Terentius ………………25 Sacrobossi sphaera ………………26 Seneca ………………27 Organum graecum ………………28 Ovidius……………… 29 Opusculum de conservanda valetudine ………………30 Valerius Maximus ………………31 Himni Bodii ………………32 Quatrains Pybrac ………………33 Farrago ………………34 Justinius ………………35 Martialis ………………36 Flores Poetarum ………………37 Flores Senecae ………………38 Cornelius Valerius ………………39 Cateschismi 2 ………………40 Sleidan ………………41 Hunii Dialectica ………………42 Epistolae Ciceronis ………………43 Vives ………………44 Liber de quant. ………………45 Rethoricorum libri. ………………46 Cic. Epistolae ………………47 Org. Pacii ………………48 Tacitus ………………49 Persius ………………50 Juvenalis ………………51 [1] Voir le catalogue : http://w3public.ville-ge.ch/bge/odyssee.nsf/Attachments/ aubigne_agrippaframeset.htm/$file/aubigne_agrippa.htm. [2] T 153, f° 1. [3] Voir les études d’O. Millet dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 154, 2008, p. 9-23 et Albineana 26, 2014, p. 708-711. [4] Correspondance, Garnier, p. 650-659. [5] Ibid., p. 291-295 [6] Nous proposons ci-dessous une transcription de cette liste. Gilles Banderier en a déjà proposé une, fautive («A propos de la bibliothèque d’Agrippa d’Aubigné», French studies bulletin, 91 ? 2004, p. 7-10). |
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