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Les livres de l'écrivain
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Un achat de livres par Agrippa d’Aubigné en 1609
Auteur : J.-R.
Fanlo
Les dossiers constitués par Benjamon Fillon contiennent un
document intéressant, un récépissé délivré par Constant d’Aubigné, qui
a réceptionné le 7 janvier 1609 des livres commandés par son père.
Voici la transcription commentée de ce document.
L’achat d’outils bibliographiques, d’œuvres de référence en
histoire, philosophie politique ou en poésie avec les Œuvres de
Ronsard, témoigne peut-être des ambitions autodidactes d’un homme dont
les études ont été bousculées et raccourcies au profit d’une vie
tumultueuse de gentilhomme et de combattant. Mais il intéresse sans
doute aussi les deux grands chantiers de l’écrivain, les Tragiques
et l’Histoire, dans leur projet littéraire,
historique et politique. En 1609, Aubigné est probablement en plein
travail, à un moment où les tensions qui ont accompagné et suivi l’Édit
de Nantes, le rapprochement d’Henri IV avec Rome, la politique
d’opposition ferme des calvinistes que Sully appelle «brouillons», se
sont un peu apaisées – dans quelques mois, le geste de Ravaillac
changera tout. Le volume Tronchin 160 de la Bibliothèque de Genève
contient un état manuscrit du début de la Chambre doree qui
doit dater des années 1600. Il n’a pas de titre. Il est 40 % plus court
que le passage correspondant dans l’édition princeps de 1616. Le
travail d’enrichissement s’est probablement fait dans les années 1610,
surtout après la mort d’Henri IV, qui crée un nouveau contexte et
libère la parole. Mais dès avant cette mort, les grandes ambitions
étaient là.
Récépissé de livres donné à Pierre Petit Jan, imprimeur par
Constant d'Aubigné (7 janvier 1609), Extrait des papiers de la famille
Avice de Mougon.
Les Archives de la Vendée. EDépôt 92 1II - Archives
historiques de la ville de Fontenay-le-Comte (ensemble de pièces
réunies par Benjamin Fillon).
[p.235] « Je confesse avoyr receu de
Monsieur Petit-Jan
librayre imprimeur à Fontenay, pour le compte de Monsieur
d’Aubigny, mon père, les lyvres dont
les tiltres suyvent :
Discours des medailles de Le Loyer [1]
; les
Hommes
Illustres de Thevet [2]
; Hystoire du Roy Charles par
M. de Belleforest [3] :
Les œuvres de Ronsard en deux tomes [4] ;
Les Politiques de Platon et d’Aristote [5] ; la Bibliotheque de
M. de La Croix [6] : le
Ménage des champs de M. de Serres [7]
que led. Petit-Jan a porté au mémoyre de Monsieur d’Au-
bigny, comme les tenant du sieur Bregeon imprimeur à Paris
à quy ils avoient esté commandez. Fontenay le septiesme
jour du moys de janvier l’an mis six cent neuf.
[Signatures de Constant et au-dessous « receu / » Aubigné]
Notes
(cliquez sur le chiffre pour revenir au texte)
[1] Pierre Le Loyer,
parlementaire angevin qui a été ligueur et qui a écrit notamment un Discours
et histoires des spectres, vision et apparitions, ainsi que des Œuvres
et meslanges poetiques, n’a pas écrit de Discours des
medailles. Il faut supposer une erreur de transcription, comme
c’est souvent le cas avec les documents Fillon, qui a même parfois
commis des faux. Ici, il s’agit forcément d’Antoine Le Pois, Discours
sur les medalles et graveures antiques, principalement Romaines. Plus,
une Exposition particuliere de quelques planches ou tables estans sur
la fin de ce livre, esquelles sont mostrees diverses medalles et
graveures antiques, rares et exquises, Paris, Par Mamert
Patisson, 1579. Le livre contient dans sa dernière partie un ensemble
de médailles de divers empereurs romains, que précède un long traité
sur divers sujets, la numismatique, les honneurs à Rome, les différents
grands hommes qui se sont succédés sous la République et sous l’Empire.
[2] André Thevet, Les
vrais pourtraits et vies des hommes illustres grecz, latins et payens,
recueilliz de leur tableaux, livres et medailles antiques et modernes,
Paris, Par la vefve Kervert et Guillaume Chaudière, 1584. Acheter
Thevet en 1609 peut surprendre. Il a déjà une solide réputation
d’affabulateur, et à Paris, on se moque de lui. Plus tard, dans un
quatrain griffonné sur un volume manuscrit, Aubigné s’en moque aussi :
avec ses « songes et creuses pensees », Thevet est « prophet[e] des
choses passees » et « historien de l’avenir » (159, f° 153 v°) ce qui
en fait un double inversé de l’auteur de l’Histoire universelle et
des Tragiques, historien du passé et prophète de l’avenir,
comme il convient. D’autre part, dans un projet de chapitre pour la Confession
du sieur de Sancy rédigé entre 1597 et 1605 et resté inachevé,
Aubigné s’est déjà gaussé de lui et de Belleforest, puisque les deux se
sont disputés en justice la paternité de la Cosmographie de Levant
: « deux plagiaires », dit-il (151, f° 273 v°). Il achetait
des auteurs qu’il méprisait par ailleurs. Quoi qu’il en soit, l’achat
des volumes de Thevet et de Le Pois est caractéristique. Comme
Montaigne aime l’histoire pour les personnes et les « vies » qu’il
découvre dans Plutarque ou dans Tacite, Agrippa d’Aubigné s’intéresse
aux individus, à leur visage. Même si dans les Tragiques ne
contiennent aucun portrait des tyrans antiques persécuteurs de la foi,
tous condamnés au nom de la religion, l’histoire reste pour lui comme
pour son époque celle des rois et des grands personnages qu’on veut se
représenter. Cela ne rend que plus originale et plus forte la décision,
particulièrement marquée au frontispice du tome III de l’HU en
1619, de passer de l’histoire monarchique, celle d’Henri IV, à celle du
parti protestant.
[3] François de
Belleforest, L’Histoire des neuf roys Charles de France :
contenant la fortune, et heur fatal des roys, qui sous ce nom de
Charles ont mis à fin des choses merveilleuses, Paris, P.
L’Huillier, 1568.
[4] Pierre de Ronsard,
Les Œuvres. L’identification de l’édition est difficile.
Nous ne connaissons pas d’édition en deux tomes. On peut penser à une
erreur de copie pour « dix tomes », et dans ce cas il s’agirait de
l’édition procurée par Galland chez N. Buon en 1604. Ronsard, Aubigné
le connaît depuis longtemps. En 1609, Ronsard n’est plus vraiment à la
mode. Sans doute Aubigné n’aime guère ce changement, comme il le dira
le début des Tragiques et le redira dans sa correspondance.
Mais peut-être veut-il aussi l’avoir sous la main parce que le livre
auquel il travaille, Les Tragiques, veut reprendre la plus
haute ambition des Odes, des Hymnes et des Discours
et faire de l’auteur le successeur du Vendômois, mais un successeur qui
change tout, qui n’écrit plus pour le roi mais contre lui, qui
substitue à la mythologie l’histoire et la Bible, et à la venustas
et au pittoresque le style rude et l’indignation.
[5] Aristote, Platon, Les
Politiques. Il peut s’agir d’un titre approximatif pour Loys
Le Roy, De l’origine, antiquité, progres, excellence et utilité de
l’art politique. Ensemble des Legislateurs les plus renommez qui l’ont
prattiquée, et des autheurs illustres qui en ont escrit, specialement
Platon et Aristote, avec le sommaire et conference de leurs Politiques,
traduittes de Grec en François et eclarcies d’expositions pour les
accomoder aux meurs et affaires de ce temps, par Loys Le Roy, dict
Regius (Paris, Fédéric Morel, 1567), professeur de grec au Collège
de France.
[6] François Grudé, sr
de La Croix du Maine, Premier volume de la
Bibliothèque du sieur de La Croix Du Maine, qui est un catalogue
général de toutes sortes d'autheurs qui ont escrit en françois depuis
cinq cents ans et plus jusques à ce jour d'huy, Paris, A.
L'Angelier, 1584. Le livre est déjà, en son temps, un outil
bibliographique plusieurs fois réédité et enrichi.
[7] Olivier de Serres,
Le Théatre d'agriculture et mesnage des champs, Paris,
Jamet-Métayer, 1600. Cet ouvrage d’agronomie et d’économie agricole a
eu un grand succès. Le temps des guerres civiles fini, nombre de
gentilshommes retirés sur leurs terres se sont intéressés à la gestion
de leurs biens, à la valorisation de leur patrimoine agricole. Aubigné,
à Maillezais comme plus tard au Crest en Suisse, a acheté de nombreuses
terres agricoles. Ce livre est lié à cette économie domestique, qui
correspond assez bien au personnage d’Enay tel que le montrera le Faeneste.
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