Documents biographiques

LE MANUSCRIT CLAIRAMBAULT

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f° 40-44 Rapport anonyme sur le fort de Doignon.

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Schrenck, Albineana 5, p. 121-127, Correspondance p. 1381-1387.

« Le Dognon est un fort situé entre Maillezais et Marans, à une lieue du premier, à quatre lieues de l'autre, distant de trois lieues de Fontenay le Comte, d'environ six lieues de Niort, à huit lieues de La Rochelle, à neuf de Saint-Jean d'Angely, et ainsi faisant un point au milieu de toutes les principales villes et places de sûreté de ceux de la religion, tant du Poitou que des environs. La forme dudit fort est un carré parfait de quelque six ou sept vingt pas de diamètre, composé d'un gros rempart de grande épaisseur, revêtu de maçonnerie par le dehors, quatre tours carrées aux quatre coins qui flanquent ledit rempart et un fossé de vingt cinq ou trente pieds de largeur seulement, tant à l'entour des tours que dudit rempart, au dehors duquel fossé y a quatre éperons qui couvrent ces quatre tours élevées de dix ou douze pieds qui font faces, flancs et courtines, et d'un terrain continu environnant toute la place. Les éperons et les courtines ont un grand fossé de cent pieds de largeur, de tous côtés égal ; lequel fossé a encore une seconde contrescarpe fortifiée et relevée de terre qui, avec des saules plantés en croix et en biais, font par art une naturelle défense empêchant l'abord de ce grand fossé et n'y laissant qu'une petite avenue pour les bateaux, aisée à fermer et à garder. Outre tout cela, y a un troisième fossé de quarante pieds ou environ, dans lequel les bateaux vont et viennent à la merci toutefois de toutes ces diverses pièces de fortification susdites et du dernier fossé, que par un canal de soixante ou quatre-vingts pieds de large qui va aboutir à deux cents pas de là dans la rivière de Sèvre. Ce canal est vu tout du long d'une grosse tour carrée, bâtie justement tout au milieu de la place, laquelle tour fait comme un donjon assez élevé, plus haut que tout le reste sur le roc qui naturellement allait montant de toutes parts vers ce point de milieu. Là est le logement assez commode et spacieux de cave voutée, cuisine, salle, chambres, cabinets, garde robes et greniers ; et ce logement a l'espace derrière le gros rempart susd. pour lui servir de cour, de place d'armes et autres aisances, cette espace étant explane et mise tout à l'uni dans led. roc, de sorte qu'on y peut aisément faire rouler toute sorte d'artillerie d'un côté à l'autre. Comme aussi il y a des routes faites exprès pour conduire des pièces montées sur roues dans chacune des tours qui flanquent ledit rempart, dans lequel il y a plusieurs autres commodités bien pratiques pour une place de guerre, comme greniers et magasins spacieux, four, moulin et autres choses nécessaires.

La nature a contribué à ce lieu un puits d'eau excellente, comme par merveille, au milieu d'un marais d'eau noire et souvent puante. Elle y a pour la force aidé du roc qui s'est rencontré fort propre pour la fortification, tant en son relief qui va toujours augmentant et se haussant vers le point du milieu, qu'en l'étendue qui s'est trouvée proportionnée à la puissance d'un particulier. Car la forteresse comprend toute l'île, n'ayant de terre pour faire approche ou batterie contre elle plus proche que deux mille pas, et tout le pays d'environ ladite place, depuis ces contrescarpes jusques à une grande étendue de terre, n'étant autre chose qu'un marais continu, qui en la plus grande sécheresse n'a pas un pied de terre au dessus de l'eau et de la vase fort molle et profonde. Cette île fut acquise du chapitre de l'évêché de Maillezais par le présent possesseur, quelque peu après la mort du feu Roi dernier décédé, sous couleur d'y vouloir dresser seulement quelque couvert pour les bastions qu'il avait dans les marais et en autres îles plus plates et sujettes à inondation, lesquelles ledit possesseur a aussi acquises de plus longue main ès environs, ayant de longtemps jeté les yeux sur celle-là pour y faire ce qu'il a fait par l'opportunité du trouble arrivant, soit qu'on lui ait permis de s'en approprier le fonds ou non. Lorsqu'il l'acheta, il y avait seulement une chapelle avec ledit puits et quelques caves comme d'un ermitage ancien.

Ce nouveau bâtiment fut commencé quelques deux ans après la mort du feu Roi. Comme les esprits commencèrent à se reconnaître de l'étonnement de ce grand coup, l'entreprise fut propice entre le mal général, la démission de Monsieur de Parabere de la lieutenance du Roi en Poitou entre les mains du marquis de Noirmoutiers[1], qui tarda à y venir et mourut en arrivant. Depuis la charge tomba entre les mains du sieur de Rochefort qui n'y fut jamais ; et lors que le Comte de La Rochefoucauld en fut pourvu, il n'était plus temps de s'y opposer, car les ligues étaient déjà tellement formées en l'État que presser un homme d'obéir aux meilleures et plus justes lois était assurément le donner aux ennemis du roi. Le gouverneur de la province, qui était lors monsieur de Sully, ayant eu quelques alarmes qu'on le recherchât du maniement des finances, dès le temps de l'assemblée de Saumur, commença là à conniver à tels désordres par crainte que l'autorité du Roi lui fût plus dangereuse d'autant qu'elle serait plus absolue. Celui qui lui a succédé n'a pas cru se devoir échauffer contre ce que tous les autres avaient toléré ou favorisé et d'ailleurs n'y est pas venu en un temps propre à telles réformations, de sorte que cette ouvre est venue sans aucune opposition jusques au point de perfection.

Or l'ouvrier, non content des crimes formels qui se peuvent remarquer en la description véritable de ce que dessus et en sa construction, s'est enhardi, comme celui de transporter dans ledit fort du Dognon l'artillerie, poudre, munitions, armes et toutes autres choses du Château de Maillezais, qui est le seul lieu où il en peut garder et où il est pourvu par le Roi, et qui pis est, a donné retraite à la plupart des soldats et garnements du pays, comme meurtriers, ravisseurs de filles et faux monnayeurs.

Est à considérer aussi que de ce Dognon sort, sur le seul privilège de l'impunité, une infinité de libelles diffamatoires contre le général et au décri des affaires publiques et contre les particuliers, comme pour l'exemple l'Italien François, Le Baron de Feneste et voire de gros volumes entiers comme Les Tragiques et une Histoire qu'il a maintenant sur la presse ; le tout tendant à réveiller les animosités de parti, remémorant aux huguenots leur sang épandu ès massacres et leur imputant à lâcheté l'oubli que les lois divines et humaines leur enseignent, et les rendant odieux aux catholiques par ce souvenir qui semble tirer à part soi une conséquence de vengeance ou en nourrir à tout le moins l'appétit. Ce venin opère en plusieurs esprits, comme il se voit et trouve assez de dispositions malicieuses pour y faire encore un plus dangereux effet. Il y aurait trop à dire là dessus.

Mais on ne doit omettre comme en ces derniers troubles le Sieur d'Aubigné fut le premier contre la parole absolue qu'il avoit donnée à la Reine à prendre les armes et à embrasser la cause de Monsieur le Prince. Ce fut lui qui attira les armées en Poitou, où ledit Prince se retira plus sur la confiance en cet homme et à la faveur de ses places et forteresses nouvelles que de nulles autres places ni personnes ; en quoi il causa du mal à tous, ayant par ses conseils et instigations et après par ses aides à mal faire poussé ledit Prince plus avant qu'il n'eût entrepris, en quoi l'autorité du Roi a été grandement intéressée et vue en grand hasard, et la province particulière de Poitou ruinée et servant de refuge aux rebelles et à la rébellion dont est seulement résulté à bien que quand on voudra procéder au châtiment dudit sieur d'Aubigné et de sa forteresse nouvelle, personne ni huguenot ne s'en émouvra, le peuple ayant senti avec la noblesse du pays brièvement la violence de cette petite tyrannie, tant par les picorées à quoi elle a donné retraite de tous les côtés du pays que pour le tribut qu'elle exigeait sur la rivière de Sèvre qu'elle tient bridée, laquelle rivière porte tout le commerce du Poitou à la mer et de la mer au Poitou. En quoi particulièrement les villes de Niort et de Marans, l'une au dessus, l'autre au dessous sur la même rivière, sont grandement intéressées et tout le pays ensemble en est en crainte et alarme pour l'avenir comme en haine du passé.

Les inconvénients du passé sont des leçons pour l'avenir, pour auxquels remédier, il ne faut pas attendre qu'une plus longue souffrance ait donné plus ample titre de possession, ni que les esprits factieux aient eu loisir de renouer leurs trames, ains étouffer de bonne heure telles semences de division et de trouble, tandis que le Roi est en train de relever sa justice et de réparer les brèches faites à son autorité et à son respect. L'exemple de cette place porterait plusieurs conséquences d'utilité. Il ne faut pas craindre que le corps de ceux de la religion s'en émeuve. Ils n'ont nul droit à la conserver, au contraire tous sont disposés à en voir la ruine et à y prêter la main, jusques aux ministres et pasteurs, jadis amis plus privés dudit sieur d'Aubigné. Ne faudrait aussi attendre le temps plus proche d'une assemblée générale, car les esprits dont on compose ordinairement leurs assemblées sont choisis de gens passionnés et violents qui prennent toute affirmation pour leur part, y portant tout le corps où ils veulent.

C'est pourquoi il faudrait travailler présentement à cette affaire et lever de ce fort le sieur d'Aubigné, après quoi il serait de la prudence du Roi et de son conseil ou de garder cette place entre les mains de quelque personne confidente pour en tenir en bride et en échec toutes les places huguenotes voisines, en cas qu'elles se portassent à quelque mouvement déréglé et aux pratiques de quelque grand brouillon, éloigné de la cour, ou de n'octroyer la démolition aux clameurs du peuple, et du pays ou aux cahiers de la première assemblée huguenote, qui sans doute seraient chargés d'en demander le rasement, s'ils la voyaient entre les mains du Roi comme préjudiciables à leurs sûretés. L'on ne doit négliger en tout temps de se munir de sujets de concéder quelque chose à leurs importunités, pourvu qu'en ce faisant on n'améliore point leur condition.

En suite de cette considération générale, je ne craindrai point de dire que ceux qui veulent porter le Roi à embrasser précipitamment des querelles hors de son royaume, comme en Piémont pour le duc de Savoie contre le Roi d'Espagne, lequel Roi serait à la vérité plus puissant et par conséquent plus dangereux voisin, ou en Allemagne à l'instigation de l'Electeur de Saxe pour porter le duc de Bavière à se faire Roi des Romains et par là interrompre cette succession qui semble perpétuer l'Empire en la Maison d'Autriche, ont à la vérité des conseils bien plausibles, mais s'ils aperçoivent combien il y a d'Aubigné en France qui ne font qu'attendre que le Roi soit occupé ailleurs pour faire éclore leurs pernicieux desseins et mettre le parti huguenot hors du four, je m'assure qu'ils iraient bien plus retenus aux affaires du dehors et seraient plus diligents à purger les mauvaises humeurs de ce vil corps caduc de l'État de la France.

Mais pour ne s'égarer point dudit particulier, j'ajouterai que le sieur d'Aubigné est homme d'une vieillesse saine et vigoureuse, dont la malice s'augmente sans que sa force diminue, que sa place tomberait par son décès encore en pire main, d'autant que son fils est abandonné à toutes sortes de vices, chargé de condamnation à mort par contumace pour enlèvement, accusé de fausse monnaie, et très pernicieux en toutes ses mours, si bien qu'attendre que le temps en fît la justice serait s'exposer à une longue et pire injustice et comme approuver le mal de n'en punir pas un si évident.

Par ce que dessus, on peut aisément juger l'intérêt qu'a le roi, le public et le particulier des catholiques de réduire ce fort à néant ou à l'obéissance absolue. Reste à dire les moyens de ce faire, quoique ce soit pécher contre la suffisance du Conseil de Sa Majesté, mais parce qu'il s'agit d'un remède à un mal si particulier, peut-être que l'avis d'un particulier connaissant bien la maladie n'y sera point superflu.

On a coutume d'employer deux moyens ordinaires, qui sont la douceur et la force. Ici on doit tenter le premier, avant que de venir au second, pour beaucoup de raisons. Outre ce que ledit d'Aubigné n'a encore eu nul commandement ni défense contre ce qu'il a fait, c'est pourquoi il serait à propos de lui dépêcher quelque gentilhomme qui eût sujet d'aller dans le pays et le visiter afin de lui pouvoir faire entendre confidemment et sans colère l'intention du Roi sur ce sujet, laquelle prenant bien, comme il pourrait faire, et jugeant les inconvénients d'attendre une décharge de commandement absolu qui tirerait après soi d'autres conséquences, il ne serait peut être besoin d'autre chose pour le convier à ce qui serait expédient pour cette affaire qui serait de lui faire attendre un exempt des gardes, pour lui remettre la place entre les mains. Et cependant il fit amener son canon et autres choses appartenant à la garde du château de Maillezais audit Maillezais, on tiendrait ici l'exempt des gardes prêt à partir au retour du gentilhomme et ledit exempt avec dix ou douze hommes catholiques qu'on lui ferait prendre dans la province, pourrait répondre dudit fort, lequel est de fort facile garde, jusques à ce que le Roi en disposât autrement, soit en y pourvoyant de quelqu'un à demeure, ou en le faisant démolir.

Si ledit sieur d'Aubigné n'obtempérait à cette semonce, dont la bénignité seule le devrait convier à l'obéissance, parce qu'elle devrait aussi être accompagnée de toutes sortes d'assurance de sa vie et d'oubli de ses crimes, aussi de quelques gratifications annuelles, comme du rétablissement de sa pension, si, dis-je, il faisait la sourde oreille à cela, il faudrait procéder contre lui sans armes, par la rigueur des lois, selon la qualité de ses contraventions. Et le plus certain moyen de le réduire, outre l'injonction aux ennemis de lui courre sus et lui interdire le feu et l'eau, il ne faudrait que mettre son gouvernement de ce Maillezais en séquestre entre les mains de quelque huguenot de qualité et de probité irrécusable, comme monsieur de La Noue, ce qui serait fort facile à exécuter, même à prendre ledit château de Maillezais par force en plein jour par cent hommes en une après-dinée. Ainsi destitué de tout commandement et le parti huguenot hors d'intérêt comme il serait par ce séquestre, il n'est pas possible que ledit sieur d'Aubigné demeure un mois dans son nouveau fort en ce misérable état, sans qu'il l'offre et sa personne à discrétion, qui serait peut-être une des plus utiles réformations que l'on puisse faire en France et dont l'occasion est belle. Ce qui ne sera peut être pas toujours, vu la mutabilité des esprits des François et le peu d'affection et de révérence qu'ils portent à leur Prince et à son pays.»



[1] Louis de La Trémoille (1586-1613), marquis de Noirmoutiers.











                                     
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