Documents biographiquesLE MANUSCRIT CLAIRAMBAULT ......................................... f° 161-163 Villette à Pontchartrain Mursay, 20 juin 1619 Correspondance p. 1419-1423. « Mon ancienne affection au pur et vrai service du Roi m'ayant premièrement acquis l'honneur de votre connaissance et puis de votre faveur, je me persuade que ce même sujet subsistant en moi arrêtera les mêmes accidents de votre part, sans qu'aucun autre égard de changement ou de non changement altère rien de votre bienveillance en mon endroit, mais le voyage dernier que j'ai fait à la Cour, quoique non agréable en sa cause, vous fasse mécroire de ma sincérité. Ainçois j'espère que venant à vérifier ce que je vous rapportai de ce qui avait obligé le gouverneur de cette province à pourvoir si prudemment et de telle manière aux deux places de Maillezais et du Dognon et effectivement à cette dernière, vous trouverez que j'ai été véritable, non seulement en ce qui était du gentilhomme qui les avait voulu acheter à prix si excessif, mais même en ce que je vous dis que c'était pour le nouveau parti, comme il l'a prouvé par sa retraite près du chef de ce parti avec ceux qui négociaient pour lui cet achat, aussitôt qu'il s'est vu désespéré d'y pouvoir parvenir, et considèrerez s'il vous plait Monsieur que ce parti-là étant pour tous le plus contraire à l'autorité du Roi, y ayant donné le premier échec et stase sur la peine d'y faire une plus grande brèche, il n'y faut rien tant craindre sinon qu'il s'augmentasse et s'étendisse dans une province non encore touchée de cette infection. Et que le préservatif plus pressant et plus certain était le meilleur, il ne se pouvait retarder de réaliser sans quelque espèce de crime. Je sais bien qu'en ce préservatif se rencontre des défauts presque [v] ordinaires en tous ceux de médecine, qui ne profitent qu'en préjudiciant à un autre. Mais en ce corps valétudinaire de notre État c'est beaucoup de retarder un très grand mal par un moindre ou un dommage présent par un à venir. Je sais aussi que les conséquences du parti huguenot sont jugées plus que tout dangereuses et redoutables. Mais en tout ce qui s'est passé au Dognon, qu'y a-il de pis que ce qui était il y a six ou sept années, et en ce que je poursuivais l'année passée pour Maillezais, qu'y a-il qui ne se dût octroyer facilement, quand ce ne serait que pour effacer l'opinion de haine et le dessein de destruction prochaine, laquelle opinion n'est aussi autre chose que cette défiance qui engendre plus de sûreté que cent places et fait plus de gardes que mille sentinelles. Or posez, Monsieur, que je vous aie dit fausseté en ce qui était de l'achat prétendu et poursuivi dudit de Fraignauls autrement Puyguyon, chose qui ne m'arrivera jamais en quoi que ce soit, et que Monsieur de Rohan ait voulu colorer par là du service du Roi ce qu'il a fait pour empêcher que celui qui attente son autorité et lui ravit les droits et l'honneur de sa charge ne pût encore se venir établir si fortement au milieu de ce qui lui restait de créance, n'eusse il pas été plus expédient de voir ce prétexte, et approuver la juste conservation de soi-même d'un particulier contre l'ambition d'un autre, que d'en faire une affaire d'État et montrer qu'une chose qui (= que le Roi s'y intéresse ?) intéresse ou en faveur de celui qui entreprend traité en défaveur de celui qu'on opprime en sa cause particulière ou en la publique dont il ne fait profession. Les rois sont (par leur être propre) tenus à maintenir les supérieurs contre les inférieurs [162] s'il ne paraît une manifeste violence de ceux-là contre ceux-ci, car l'insolence des ambitieux quoique déréglée monte souvent jusques à eux par degrés, et l'ordre ne s'entretient que par la déférence de ceux qui tiennent le dessous, sans laquelle tout va nécessairement en confusion. Vous direz sur cela Monsieur à quelqu'un à qui vous parleriez privément et à cour ouvert, que le sujet de la religion apporte des distinctions et exceptions en tel cas. Et voilà cacher le mal, car cette différence ne peut être faite que subtilement dès lors qu'elle ne soit bientôt découverte et soufferte bien impatiemment des autres et qu'en fin la patience n'échappe aux uns avant que les autres soient venus à bout d'eux. Pour à quoi obvier le meilleur serait que la seule distinction se fît en France par l'être bon ou mauvais français, qui est à dire par bien ou mal servir Sa Majesté et l'État ; et jusques à ce que vous en veniez là, tout le bon ou mauvais traitement s'imputera plutôt à partialité qu'à justice. Dieu saura bien régler ce qui est de son service spirituel quand il lui plaira, n'ayant point commis pour cela les Rois sur les nations, ains pour les dominer et ranger sous les lois temporelles qui règlent la société et les mours. Vous voyez par l'exemple de ce dernier et encore présent trouble que ceux qui confessent la foi catholique plus ardemment sont ceux qui ont enfreint le respect les premiers et fait la planche au désordre, et cependant les huguenots assemblés au hasard de leurs biens et de leur vie, ayant le péril imminent d'un crime capital sur la tête, ont préféré de bien loin leur devoir envers le Roi à l'opportunité de sortir de cet affaire autrement que par la volonté même de Sa Majesté. [v] Ces exemples pour bien contraires aussi sont les effets l'un [de] l'ambition et de la rage, l'autre de la fidélité et de la conscience. Je rapporte tout cela au propos de l'affaire particulière qui me [mena] l'autre jour vers vous, parce que je pense connaître (et plût à Dieu être seul de cette opinion ou qu'elle ne fût point de plus mauvais effet ès autres qu'en moi) que ce que j'ai trouvé de difficulté en cette dite affaire, et que ce que j'en rencontre en la plupart de celles qui passent par le conseil, est que ceux de même profession sont intéressés, qu'on ne procède que de la haine qu'il nous porte et du dessein de diminuer le parti par tel[le] même maxime qui indubitablement se trouvera très pernicieuse à l'événement ; mais pour revenir audit affaire particulier je vous puis assurer que j'en ai fait la relation à celui que m'aviez envoyé, en termes les plus vrais qu'il m'a été possible pour lui faire prendre moins à mépris le peu d'effet de mon voyage et de mon long séjour inutile à la Cour, où j'estime que le commandement que je lui portais l'eût fait acheminer, sans que Monsieur de Soubise y était allé, parce que il s'est promis d'en faire approuver l'excuse, si bien que je me trouve inutile de part et d'autre en cet emploi, tout avec ce seul regret que vous ayez rejeté mon entremise et les expédients que je vous proposais pour tirer cet affaire vers une bonne issue, parce que je m'assure qu'il ne s'en trouvera pas de meilleurs ni plus plausibles à chacun que ceux-là, et que ceux qu'on y emploiera feront ménager par des gens moins traitables et moins propres à l'exécution de vos intérêts que moi qui garde toujours la même affection que j'ai eue au bien général de ma patrie et à l'autorité de mon Roi mon [163] seul maître, quoique je m'assure que ma persistance en ma religion vous face juger le contraire, ce que je vous supplie très humblement, Monsieur, éloigner de votre opinion et croire ce que je vous proteste devant Dieu vengeur des parjures, qui est que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour, avec la satisfaction de mon âme, embrasser la croyance que vous professez ; mais n'y trouvant point ce contentement j'ai fait état de perdre tout ce que j'espérais au monde et particulièrement à la Cour, voire ce peu que je possède, plutôt que de me mettre dans les plus grandes félicités de la terre privé du repos de ma propre conscience, où je demeurerai donc. Mais m'abstenant de tout zèle de parti. Si en cet état il vous plaît me compter pour tel que vous faisiez avant ce propos de conversion, et vous ressouvenir que l'on ne me peut reprocher nul bien fait pour ce sujet comme à d'autres qui en usent très mal et au mépris de leurs bienfaiteurs, je me tiendrai heureux quoi qui m'arrive d'ailleurs, estimant plus que ma vie même l'honneur de vos bonnes grâces et d'être cru comme je suis et me sens véritablement Monsieur. » |
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